Ecrit par Nicolas
La suite des aventures au Chili et en Argentine commence par une téléportation honteuse de San Pedro de Atacama, à la sortie du désert, jusqu’à Temuco, au nord de la Patagonie chilienne, grâce à un fantastique instrument du diable. Comprendre : on a pris un bus.

Nous allons ensuite visiter la région des lacs, parcourir la mythique Carretera Austral, faire une expédition en kayak dans les fjords et quelques treks dans les montagnes et glaciers du sud de la Patagonie.
Chapitre 1 : La région des lacs
25 janvier – 3 février 2016

Premières impressions : c’est extrêmement vert, et on est rapidement trempés. Non, il ne pleut pas (encore), mais l’arrosage automatique de la pelouse où on s’était installés à la sortie du bus, pour remonter nos vélos, s’est chargé de nous donner un avant-goût de la Patagonie. Maintenant bien réveillés, on s’élance vers le Sud, avec un peu plus de 2 mois de vélo devant nous.
Les premiers jours ne sont pas du tout aussi reposants que prévu : on espérait du bel asphalte et des faibles pentes, mais on découvre avec intérêt que les Chiliens, pragmatiques, n’ont revêtu que les parties plates des routes les plus importantes. Au détour d’un virage, on découvre souvent un panneau “Travaux – 20km”, qui nous indique l’arrivée d’une longue section de ripio (mot local pour gravier) avec régulièrement des côtes à plus de 12%. Côté paysages, c’est vraiment nouveau : on n’avait presque pas vu d’arbres depuis un mois, on est maintenant entourés de prés et de forêts verdoyantes, un vrai bonheur ! En Bolivie on se battait avec la nature, ici elle nous nourrit (de mûres !) et nous abreuve (on peut boire l’eau de tous les ruisseaux). Côté population, enfin, les Chiliens sont nettement plus occidentaux que les Péruviens et les Boliviens, on a presque l’impression d’être en Espagne. Le seul problème, c’est qu’ils parlent à toute vitesse, avec un argot local…
Deux jours plus tard, on finit par rencontrer le chef d’orchestre de la verdure locale (aka : la pluie), qui nous pousse à chercher refuge dans une école locale. Puisque ce sont les grandes vacances ici, le directeur nous offre chaleureusement une salle de classe dans laquelle il nous installe des matelas d’escalade et allume le poêle pour chauffer la pièce. On est presque contents qu’il pleuve le lendemain, ça nous permettra d’y rester un jour de plus pour lire, cuisiner, appeler des amis, et faire des tentatives plus ou moins malheureuses de coupe de cheveux.
En repartant, on se dirige vers le lago Pirihueico et l’Argentine. Au terme d’une grosse journée de 100km et 1500m de dénivelé positif, en partie sur de la mauvaise piste, on arrive de justesse pour monter dans le bac pour l’Argentine. Après l’effort, le réconfort est à la hauteur : le lac est splendide, tout en longueur et sinueux, et chaque virage offre un nouveau paysage de montagnes couvertes de sapins dont les versants abrupts se jettent dans le lac. L’apéro sur le bateau participe sans doute à l’émerveillement du moment.

« Y a-t-il quelque chose que vous voulez déclarer à la douane ?
- Non
– Très bien, bon voyage. »
Nous voilà donc en Argentine, dans la région des sept lacs. Après une halte ravitaillement à San Martin de los Andes, on s’élance sur la route 40, une route de plus de 5000km qui traverse le pays du Nord au Sud. Une bonne journée commençant par une bonne montée, on s’élève rapidement au-dessus du lac Lácar, puis on entre dans les montagnes locales. C’est splendide : les lacs sont d’un bleu intense et les rivières cristallines. Il semblerait que la végétation du sud du pays venge sa cousine du nord, maltraitée par le soleil et la sécheresse. Ici, elle s’attaque à toutes les surfaces : les sapins sont accrochés sur des versants de montagne vertigineux, et quand ils ne peuvent plus grimper, l’herbe prend le relais et ne laisse que peu d’espace à la roche nue. Le long de la route, plusieurs grands lacs nous fournissent des spots de campings fantastiques.
Quelques jours plus tard et un oignon en moins, volé par la douane, nous voilà de retour au Chili. Il faut noter que la Cordillère des Andes est déjà bien tassée à cet endroit : les cols transfrontaliers ne sont plus à 4500m mais à 1300m. Après une nuit dans une charmante petite église en bois, on continue notre périple vers le départ de la Carretera Austral, en traversant la région des lacs chilienne, moins impressionnante que sa voisine argentine mais néanmoins très jolie.
Chapitre 2 : Début de la Carretera Austral et expédition en kayak
3 février -10 février 2016
En arrivant à Puerto Montt, au kilomètre 0 de la Carretera Austral, on retrouve nos amis Sandie et Thibaud et leur tandem original. Ca faisait presque un mois que nos routes s’étaient séparées et c’est un plaisir de les retrouver pour attaquer cette mythique route. Longue de 1250km, sa construction a été initiée par le dictateur Pinochet en 1976, mais ne sera achevée qu’en 2000. Le but, plus idéologique que pratique, était de relier toutes les régions mal desservies de Patagonie. On ne sait pas si elle a été un vecteur de développement pour la région, mais en tout cas c’est un bonheur pour les cyclistes !
Après deux jours de vélo, on arrive à Hornopirén, le port de départ de l’un des nombreux ferrys qui permettent de poursuivre la Carretera Austral lorsque la route s’arrête. Depuis plusieurs semaines déjà, on cherchait à faire une expédition de plusieurs jours en kayak et, bonne nouvelle, on trouve un camping qui loue des kayaks. Le bateau a l’air bien, le loueur sérieux, et il y a une possibilité de partir 5 jours. Le rendez-vous est pris le lendemain dans l’après-midi pour un “cours technique” d’une heure et demi. J’ai fait beaucoup de kayak quand j’étais plus jeune, et Max est également très sportif ; en 15 minutes c’est plié ! Le seul problème, c’est que les gardes maritimes ne nous donnent pas l’autorisation de partir, à cause d’un orage qui se prépare pour la nuit. On doit les rappeler demain.
07h00 : « L’alerte n’est pas levée, rappelez-nous à 10h. »
09h50 : « On vous avait dit de rappeler à 10h. » Biiiip
10h05 : « No hay problema »
L’alerte étant levée, on fonce faire tamponner notre autorisation, on vérifie une dernière fois qu’on a bien tout le matériel, on charge le kayak et à 13h on donne notre premier coup de pagaie. Quel bonheur de me retrouver dans un sport que connais bien, après 3 mois de vélo ! On a un kayak pour deux, Max donne le rythme devant, et je le suis tout en dirigeant notre fière embarcation avec le gouvernail que je contrôle avec les pieds. Après 3 heures de kayak, on commence à s’enfoncer dans un fjord au fond duquel on devrait voir un bus (?!). Alors qu’on commence à se demander si on ne s’était pas trompé de fjord, on aperçoit effectivement le drôle d’amer qui signale la maison de Daniel. Luxembourgeois marié à une chilienne, il habite maintenant au fond de ce fjord, ravitaillé une fois par mois par le bateau d’un ami, et passe ses journées à bricoler. Son prochain objectif : transformer le fameux bus en loft.
Le lendemain, passé le moment rafraîchissant où il a fallu remettre les affaires de kayak mouillées de la veille, on rencontre 2 compères pingouins qui montent la garde d’une petite île, et filent prévenir leur camarades de notre arrivée. Quelques mots sur les environs : c’est “absolument magnifique” ! On navigue dans des fjords plus ou moins larges, entourés de montagnes couvertes de verdure, et quand on lève les yeux, on peut admirer de nombreux sommets enneigés. Pas classique en kayak de mer. Le soir, on arrive au fond d’un second fjord dans lequel le loueur nous a conseillé de camper, au niveau de la dernière cascade. On remonte le kayak sur la berge, et on monte la tente sur de l’herbe bien verte, au-delà des cailloux qui seront certainement recouverts par la marée. Et là, c’est le drame.

00h25, alors que je me retourne pour me rendormir, ma main touche le sol de la tente, qui a une étrange texture. J’appuie de nouveau dessus, et le verdict est sans appel : nous sommes entourés d’au moins 10cm d’eau ! Par miracle, la tente n’a toujours pas pris l’eau.
« Max, on est dans l’eau !
- [Grognement]
- Max, réveille-toi, on est dans l’eau, il faut qu’on bouge ! »
Je sauve rapidement l’électronique d’une mort certaine et jette les kindle, téléphone, et appareil photo dans un sac étanche. Mais la situation est tellement géniale que je décide de faire une mini-vidéo pour vous faire partager ce beau moment (cf vidéo). Évidemment, à ce moment-là, la porte cède et l’eau inonde la tente et mon sac de couchage. On sort donc en caleçon pour remonter affaires dans les hautes herbes. Pendant que je fais des allers-retours avec notre seule lampe, Max pêche dans la tente, dans le noir, les affaires qui flottent : vêtements, petit-déjeuner, sacs… On est dans le noir, trempés, et on ne trouve pas ça très drôle. Cinquante minutes plus tard, tout est momentanément au sec mais le vrai problème, c’est qu’on n’a pas d’annuaire des marées et qu’à en juger par la vitesse à laquelle l’eau monte, on doit être à peine à mi-marée. On l’avait pourtant demandé à au moins 5 personnes avant de partir, sans succès. Notons tout de même qu’en Bretagne, même le boucher a l’annuaire des marées… Pour couronner le tout, on ne peut presque pas quitter la “plage” tellement la végétation est dense au-dessus de nous. On décide donc de tout mettre dans le kayak qu’on attache à un arbre en haut de la plage, et de finir notre nuit dans les broussailles, plus haut, à la belle étoile. On fait des rondes régulières pour surveiller la montée de l’eau. Vers 03h, le kayak est à flot mais l’eau semble enfin descendre. Max s’endort rapidement dans son sac de couchage sec, tandis que je peine à trouver le sommeil dans ma couverture de survie, en me maudissant d’être parti sans le précieux annuaire des marées.

Le lendemain matin, évidemment, il pleut. On range donc nos affaires mouillées de la nuit pour enfiler nos affaires mouillées de kayak, et on commence à pagayer sans s’arrêter pour rester “chauds”. A midi, transis de froid, on s’arrête sur une barge flottante à proximité d’une ferme d’élevage de poissons, pour déjeuner à l’abri de la pluie. Tout autour de nous, des panneaux indiquent mille risques chimiques, et nous incitent à mettre une combinaison, des gants et des lunettes. Qu’à cela ne tienne, on n’a pas vraiment le choix, et on allume donc prudemment notre réchaud, entourés de produits chimiques. On a froid, nos affaires sont trempées, mon sac de couchage aussi, et il n’y a pas un coin de ciel bleu à l’horizon. La situation est tellement pourrie qu’on a notre plus gros fou-rire du voyage !
Le soir, on arrive finalement au fond du fjord suivant où on trouve les thermes qu’on cherchait. Les gardes-parc sont trois hippies qui nous proposent gentiment un joint avant même de nous présenter un emplacement pour notre tente. Non merci, on serait plus motivés par un feu ! Des chaussures de rando mal lacées, un pantalon bouffant, un pull à rênes beaucoup trop grand et un bonnet à pompon, le tout accompagné d’un gambadement de grand enfant, tout le cliché y est ! Je suspends mon sac de couchage sous la petite pluie, en espérant que le vent le séchera plus vite que la pluie ne le mouillera, et on fonce dans les thermes. Quel bonheur ! S’il y a bien une constante dans ce voyage, c’est la présence de thermes après les mauvaises journées. Le soir, les gardes-parc nous indiquent qu’ils ont un annuaire des marées, dans lequel on découvre avec intérêt que nous sommes en grandes marées, avec 5,5m de marnage, contre 1,5m en mortes-eaux. Rageant…

Au réveil, bonne nouvelle, grand soleil. La journée continue bien avec la rencontre de centaines d’otaries au bord du fjord. A notre approche, la moitié se jette à l’eau en glissant maladroitement et en rebondissant sur les cailloux, tombant à quelques mètres à peine du kayak. L’autre moitié reste perchée sur son rocher et se met à rugir de manière très impressionnante. On comprend mieux l’appellation “sea lions” en anglais. On se remet en route vers la prochaine plage pour déjeuner, suivis par une dizaine d’otaries curieuses. A midi, longue séance séchage de toutes nos affaires au soleil. L’incident est enfin clos !
Le cinquième jour, après quelques heures de kayak, on arrive notre destination, juste à temps pour monter dans le ferry qui nous ramènera à notre point de départ pour rendre le kayak et récupérer nos vélos. L’occasion de lire, dormir un peu, et revenir sur les meilleurs moments de ces 130km de kayak en 5 jours. On rigole bien en repensant à la baignade nocturne avec la tente, et on décide de la baptiser “l’Arche” pour l’occasion.
Chapitre 3 : Suite de la Carretera Austral, la Patagonie comme dans un rêve
11 février – 1er mars 2016
Après cette petite virée en kayak, on est heureux de retrouver nos vélos et de changer de muscles propulsifs. On reprend donc le même ferry, dans l’autre sens, pour poursuivre notre route vers le sud.
Après une petite centaine de kilomètres sur une route sinueuse encaissée dans la végétation, un déluge de pluie et de vent nous contraint à nous arrêter à Chaitén. On y trouve refuge dans une maison abandonnée digne d’un film d’horreur. Tout le rez-de-chaussée est enseveli par le sable et on y entre par une fenêtre du premier étage, qu’on calfeutrera tant bien que mal avec une porte démontée un peu plus loin dans la maison. La nuit, le vent fait grincer toute la charpente, et on entend plusieurs jeunes tourner autour de la maison, c’est assez angoissant. On apprendra par la suite que la ville a été ravagée par l’éruption du volcan éponyme en 2008.
Le lendemain, alors qu’on est couardement abrités de la pluie sous un auvent de chantier au bord de la route, on voit passer un couple avec leur fils de 6 ans… tous à vélo ! Un peu honteux, on se dit que si le petit gars peut pédaler, nous aussi, et on les rattrape. La fin de la journée est éprouvante : une longue montée assez raide et imprévue, sous la pluie, avec des trous partout sur la piste. On arrive enfin à Villa Sta Lucia, trempés et fatigués, et on craque rapidement quand Pierre et Laetitia, deux backpackers rencontrés plus tôt dans la journée, nous proposent de partager une cabaña avec une douche chaude et un poêle.

Les deux jours suivants, le temps s’améliore, et on profite vraiment des paysages. On rencontre de nombreux autres cyclistes qui voyagent entre 2 semaines et plusieurs années ; chacun a une histoire différente à raconter. Un soir, on rencontre un allemand qui nous annonce un déluge de pluie pour le lendemain, et on décide donc de se chercher un abri pour éviter de passer 36h à tourner en rond sous la tente. On finira par trouver une maison abandonnée (encore !) avec une belle vue sur la vallée. Après un brin de ménage (comprendre : on a essayé de balayer la poussière avec des grandes feuilles), on y installe notre tente et on attaque un programme intense de repos : films, échecs, lecture et bricolage, en regardant tomber la pluie.

Les derniers jours qui nous séparent de Coyhaique sont de nouveau assez pénibles : beaucoup de pluie intermittente, pas beaucoup de rayons de soleil pour enflammer les paysages autour de nous, on espère que ça va s’arranger. On apprendra par la suite qu’il y a 320 jours de pluie par an dans cette région… Pour s’occuper, on écoute de la musique ou bien des livres audio. Ce jour-là, j’écoute “La Petite Histoire de France”, et c’est donc au rythme des histoires des Carolingiens et des Mérovingiens que je finis la journée.
Après Coyhaique, la météo se fait plus clémente et les paysages changent : les forêts font place à de grandes prairies et les paysages s’ouvrent. On embarque à Puerto Ibañez sur un ferry qui nous permet de traverser le Lago General Carrera, le plus grand lac du Chili. A l’arrivée, il est trop tard pour sortir de la ville et on décide de camper… sur la place d’armes ! Réveillés par l’arrosage automatique, on quitte la ville et on commence à longer le lac. Il est d’un bleu irréel, c’est splendide. La végétation, jaune et verte, plutôt basse, n’a rien à voir avec ce qu’on connaissait.
Rapidement, mes craintes se confirment. Le profil altimétrique avait l’air tellement absurde que j’espérais que les altitudes étaient en pieds et non en mètres. Hé bien non… Une fois de plus, on découvre que longer un lac n’est pas du tout synonyme de route plate. En plus, un vent terrible se lève contre nous. Sur le plat, sur le rapport le plus court, on avance à 8km/h, et en montée on doit fréquemment pousser nos vélos tellement il y a de vent. A un moment, on sera même forcés de s’arrêter et de serrer les freins pour ne pas reculer !

Quelques jours plus tard, on achète deux lignes de pêche à la cuillère, et on décide de les essayer le jour même, en s’arrêtant au bord des eaux bleues turquoise du Rio Baker vers l’heure du déjeuner. Au deuxième lancer, Max perd sa ligne qu’il n’avait pas attachée. Piqué au vif par sa remarque « dans 5 minutes, tu en auras marre », je persévère pendant plus de trois heures… sans succès ! Dépités, on cuisine – encore – des pâtes, et on se fait griller du pain au feu de bois, accompagné de chocolat et d’un bon vin chilien, pour oublier cet échec.
A Cochrane, dernier bastion de civilisation à quatre jours la fin de la Carretera Austral, on fait la rencontre d’Arnaud, un étudiant de Dauphine qui termine son stage en Colombie par un mois de vélo, et avec qui on pédalera les jours suivants. Le lendemain soir, alors qu’on campe au bord d’une rivière, je décide de retenter ma chance, et, après une cinquantaine de lancers, finis par pêcher une belle truite d’environ 30cm ! Boire l’eau des rivières, s’y baigner, y pêcher un poisson, et le faire cuire au feu de bois nous renvoie vraiment à une autre époque de l’humanité.
Pour les trois derniers jours, on retrouve nos amis Thibaud et Sandie, et on pédale dans des paysages somptueux. Voir des sommets enneigés apparaître progressivement en passant un col difficile est un plaisir difficilement descriptible. On arrive enfin à Villa O’Higgins où on célèbre la fin de la Carretera Austral tous les cinq comme il se doit. Vers 23h, un policier nous fait gentiment comprendre que nous ne sommes pas censés camper là où nous sommes, et c’est donc dans le noir, en roulant plus ou moins droit et en riant, que nous parcourons les 8 derniers kilomètres qui nous séparent de l’embarcadère du Lago O’Higgins.
Chapitre 4 : Montagnes & glaciers ; Vélo & rando
2 mars – 29 mars 2016
Nous voilà donc au fond d’un cul-de-sac d’environ 400km. En voiture, le seul moyen de retrouver le reste du monde est de faire demi-tour sur un tiers environ de la Carretera Austral environ puis de passer un col pour l’Argentine. En vélo cependant, il est possible de ruser en passant un col situé entre deux lacs, un peu plus au sud. La journée est annoncée difficile.

On commence par traverser le splendide Lago O’Higgins sur un bateau de tourisme, avant d’attaquer le passage du col. Après 6 km de montée sur une piste très mauvaise et extrêmement raide, une drôle de montagne pointue apparaît sur l’horizon : le Fitz Roy ! Encore 10 km de plat relatif, et les festivités commencent. Exactement sur la frontière, la piste s’arrête et laisse place à un sentier de randonnée qui descend dans le bois. On se retrouve donc à pousser nos vélos par-dessus des racines, sous des troncs, dans des tranchées dignes de Verdun, à travers des petites rivières ou encore dans un grand bourbier. Finalement, après 2h de descente, on arrive au bord du Lago del Desierto, plutôt amusés qu’éprouvés par l’expérience. La vue est tellement sympa qu’on y restera un jour complet pour se reposer.
Encore un lac à traverser, et nous voici enfin en Argentine ! Sur la route pour El Chaltén, on s’arrête pour monter jusqu’au pied du Fitz Roy, l’un des sommets les plus difficiles au monde à escalader.

Deux jours plus tard, on se lance avec Sandie & Thibaud dans un trek de 4 jours, la Vuelta de Huemul, pour aller rendre visite au grand champ de glace de la Patagonie, vaste de près de 17 000 km². Le premier jour, relativement court, sera marqué par des rafales extrêmement violentes qui nous forceront à poser un genou à terre pour ne pas tomber. On se consolera en jouant à la belote, avec une brique de vin secrètement apportée par Max.
Le lendemain, après avoir traversé une rivière à l’aide d’une tyrolienne, on marche pendant une bonne heure sur un glacier, en slalomant entre les crevasses, une première ! Après quelques heures de stress en faisant de la varappe sur une paroi instable, à la recherche du sentier perdu, on arrive enfin au Paso del Viento (col du vent). Il porte bien son nom, et la vue est époustouflante.

Le lendemain, on passe un second col et on installe le camp au bord du lac dans lequel le glacier vient mourir. Devant nous, les nombreux petits icebergs qui flottent sont autant d’invitations à se baigner. Pari relevé !

Évidemment, à 4h du matin, de fortes rafales de vent nous forcent à plier la tente et à finir la nuit à la belle étoile. C’est un donc peu fatigués qu’on rentre à El Chaltén le lendemain.
Ces 4 jours de randonnée, non prévus dans notre programme, nous ont mis en retard, et on décide de se téléporter à El Calafate grâce à Klaus, un gentil allemand qui nous prend en stop dans son camping-car. Il nous emmènera même au Perito Moreno le lendemain. Il s’agit d’un immense glacier, d’environ 60m de haut, qui avance jusqu’à 2m par jour et s’effondre par petits morceaux, dans un bruit assourdissant, dans le lac devant lui.

On se remet en route pour Puerto Natales, et après 60km de vent de dos appréciable, on se fait prendre en stop pour gagner du temps et allonger notre prochaine rando. Pour la seconde partie du voyage en stop, on a du mal à trouver de la place pour les vélos et on finit par ruser : les vélos voyageront dans un 4×4 argentin, et nous derrière dans une petite voiture avec des allemands en vacances (encore !). Aujourd’hui, on goûte à tous les avantages de la voiture et du vélo, car lorsque des ouvriers mécontents bloquent la frontière, on n’a qu’à décharger nos destriers à pédales et franchir fièrement le blocus, alors que nos sauveurs d’une journée restent bloqués derrière.
A Puerto Natales, on est accueillis dans la famille de Gloria et Oscar, deux chiliens adorables qui ouvrent leur maison à de nombreux voyageurs de passage, ce qui en fait une auberge espagnole où tous les soirs une dizaine de joyeux lurons ont la chance de partager un dîner très convivial.
Le lendemain, on part pour notre dernier trek : la grande boucle, appelée “O”, dans le parc national Torres del Paine. Puisque le parc est très touristique et que le paradoxe du touriste veut qu’il soit allergique à la présence de ses semblables, on décide de partir tôt tous les matins et de doubler les éventuels autres lève-tôts, afin de pouvoir profiter du parc sans avoir à partager ses paysages splendides.

Le troisième jour, il a neigé toute la nuit et on doit passer un col à 1400m. Au fur et à mesure que l’on monte, il y a de plus en plus de neige sur le chemin, et on suit les traces de la vingtaine de personnes devant nous. Mais après une petite heure de marche, on finit par doubler les premiers, ce qui nous laisse seuls face à un versant complètement enneigé. On s’enfonce régulièrement jusqu’aux genoux dans la neige, parfois même jusqu’au haut des cuisses quand on sort du sentier sans s’en rendre compte. La vie étant bien faite, il a des petits cours d’eau glaciale sous la neige qui nous rappellent vite qu’on s’égare quand on a le plaisir de marcher dedans. Après une grosse heure supplémentaire sans pause, pour ne pas geler sur place, on arrive enfin au col. Le vent nous pousse à marcher courbés, mais on voit quand même apparaître devant nous un immense glacier, qui appartient au même bloc de glace que celui d’El Chaltén.


Deux jours plus tard, on arrive au camp de Cuernos, où le vent redouble d’intensité : des rafales à 94km/h sont annoncées pendant la nuit. On trouve un endroit pas trop mal abrité, et on place une vingtaine de kilos de pierre sur chacune des 14 sardines, en espérant que la tente tienne le coup. A côté de nous, c’est la tempête : tout le monde court pour aller vérifier sa tente, réparer tant bien que mal ce qui casse, et la salle commune menace de s’effondrer. Le vent souffle même l’eau du lac par-dessus les arbres, sur plus de 500m. Une bonne nuit donc !
Le lendemain, enfin, on marche encore plus vite que d’habitude et on commence à penser qu’on pourrait combiner les deux dernières journées en une seule. Il nous reste 4h pour boucler un programme annoncé à 7h de marche, en partie un aller-retour, facile ! On décide de cacher nos sacs dans un buisson, et on finit les 500m d’ascension vers les tours dont le parc porte le nom… en courant ! Les gens nous regardent passer avec des yeux ronds, et on aura même le temps de se poser 45min en haut, pour grignoter nos barres à la cacahuète face aux tours. Finalement, on redescend, toujours en courant, et on attrape le dernier bus pour Puerto Natales, ravis des paysages rencontrés pendant ces derniers jours. Le trek était annoncé pour 7-8 jours, on l’aura bouclé en cinq jours et demi.

De retour dans la maison de Gloria et Oscar, on prend 3 jours de repos bien mérités, et on en profite pour rehausser les couleurs de la gastronomie française en préparant un plat de lasagnes au saumon et aux poireaux pour 14 personnes. Niveau musique en revanche, on n’aura pas réussi convaincre nos hôtes qu’Alizée et Jordy ne sont pas vraiment les plus hautes figures de la variété française…

Toutes les bonnes choses ayant une fin, il est temps de quitter ce nid douillet pour parcourir les 300km de néant intersidéral qui séparent la côte pacifique de la côte atlantique, et attraper un vol à Rio Gallegos. Pour moi, c’est la fin du voyage à vélo, et je m’en rends subitement compte le dernier jour. Contrairement aux jours précédents, il fait grand beau, et je ressens comme un pincement au coeur en montant sur le vélo une dernière fois. Roulant doucement dans la fraîcheur matinale, baigné dans un océan de douce lumière éblouissante, je fais défiler ces cinq mois fantastiques dans ma tête. Quelle aventure !
Par la suite, nos routes se séparent : Max s’envole pour le Maroc où il retrouvera Antoine et son cousin, pour ensuite rentrer chez lui, à vélo, par l’Espagne et la France. Quant à moi, j’ai trois semaines de vacances en Argentine, avant de remonter vers la Martinique, d’où je prendrai un voilier pour traverser l’Atlantique et rentrer en France.